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Chroniques
Luciano Berio
Canticum Novissimi Testamenti – A-Ronne
Voici deux opus signés Berio (1925-2003) qui chantent les mots d’Edoardo Sanguineti (1930-2010). De même que le compositeur s’est montré à l’aise avec le solo – le cycle des quatorze Sequenza, construit de 1958 à 2002 – comme avec l’œuvre dramatique – de Passagio (1961) à Cronaca del luogo (1999) –, l’homme de lettres étonne par la diversité de ses intérêts et productions. En effet, celui qui se rêvait danseur devint romancier, poète, dramaturge, auteur d’adaptations théâtrales, critique, théoricien et journaliste. Protagoniste du mouvement d’avant-garde Gruppo 63 (avec Eco et Manganelli, pour les plus connus), sa plume sert un engagement politique qui le fait représenter le peuple au conseil municipal de Gênes (1976-1981) puis à la Chambre des députés (1979-1983), en accord avec son aveu littéraire : « je suis un communiste viscéral » (Reisebilder, 1971).
Quarantenaire cette année, A-Ronne (créé le 30 juin 1975, aux Pays-Bas) est un documentaire radiophonique pour cinq acteurs que Berio rapproche du Madrigale rappresentativo – ce théâtre à entendre de la fin du XVIe siècle [lire notre chronique du 11 juin 2006]. Avec ses citations souvent brèves et multilingues, le poème de Sanguineti « n’est pas traité comme un texte mis en musique, mais plutôt comme un texte à analyser et comme un générateur de différentes situations vocales et d’expressions ». Sections chantées et cris, rires et aboiements se succèdent dans cette pièce pleine d’humour mais aussi de mystère, donnée dans une bonne humeur communicative par les Neue Vocalsolisten Stuttgart – toujours prêts à défendre la loufoquerie, comme dans le récent Opérette signé Strasnoy [lire notre chronique du 15 janvier 2012].
Le temps passe et les créateurs évoluent… Face à un écrivain qui gagne en simplicité, Berio confie : « s’approcher musicalement de la dernière antipoésiede Sanguineti devient toujours plus ardu et, sans doute pour cette même raison, plus gratifiant. […] C’est une poésie habitée par des images quotidiennes, par des stéréotypes sentimentaux, par des figures âpres et amères, par des inventions ironiques, par des parodies et des citations qui se poursuivent dans une sorte de chambre d’écho de la mémoire où quotidien et universel, banal et spéculatif, privé et politique, se fondent dans une construction rigoureuse et parfois implacable ».
Avec des extraits de Novissimum Testamentum, le musicien compose Canticum Novissimi Testamenti, créé dans son intégralité le 18 décembre 1989, à Paris (Théâtre du Châtelet), sous la direction de Pierre Boulez. Cette ballata, qui met en valeur les interventions là encore variées de huit chanteurs (couleur populaire, crudité sauvage, imitation de « flatterzunge », etc.), convie un quatuor de clarinettes et un autre de saxophones – ici les ensembles Newears 4 clarinets et Xasax. Rappelant les ultimes opéras de Berio, la richesse timbrique et la clarté moelleuse de l’œuvre gagnent à la direction de Peter Rundel, fin connaisseur de l’esprit de Darmstadt [lire notre chronique du 5 novembre 2008].
LB